La LDH soutient le film documentaire « Notre monde » de Thomas Lacoste

Par La ligue des droits de l'Homme

Il est probable que pour nous, à la LDH, c’est le film de l’année : celui que, malgré sa durée, toutes les sections devraient voir et montrer pour donner envie à chacun de faire de la politique. La faire comme nous concevons de la faire, autrement et collectivement.

Le film est tourné vers l’avenir, dédié « à ceux qui viendront » (B. Brecht) mais aussi à ceux qui sont venus, Lucie et Raymond Aubrac. De quoi s’agit-il ? De trouver un domaine d’action, nous dit le philosophe Jean-Luc Nancy, et ce domaine d’action c’est la pensée, qui n’est pas le contraire de l’action mais sa condition. L’humanisme est en crise, la civilisation en train de changer, les religions font croire et non penser : ce qu’il faut, dans des lieux à inventer, c’est d’un élan chercher « la commune pensée, penser la Commune ».

Prologue ambitieux. Se met alors en place une sorte de séminaire, ou de chorale, où il est question d’éducation, de santé, de justice et de libertés, de frontières et de différences, de culture, de travail, d’économie, d’Europe, de démocratie. Et ce qui est remarquable, c’est que sur des sujets différents, ces voix diverses se croisent et convergent pour dénoncer la vaste entreprise de destruction des droits qui est en cours et proposer des réformes concrètes pour les défendre. Pour que l’école cesse de classifier et d’exclure, il faut évaluer les choses et non les enfants ; pour que le système de santé français échappe à la privatisation rampante et cesse de se dégrader, André Grimaldi énumère les mesures concrètes à prendre ; Matthieu Bonduelle dénonce la débauche pénale à l’œuvre depuis 2002, Patrick Henriot l’apartheid juridique auquel sont soumis les étrangers ; Eric Fassin rappelle que les étrangers sont des êtres sociaux, avec des liens, et que leur rendre leurs droits au regroupement et au mariage, ce serait commencer à en finir avec la xénophobie ; Françoise Héritier réclame le compte du travail domestique dans le PNB, pour lutter contre le sexisme ; Michel Butel veut une presse qui fasse place à l’écriture, à la poésie et aux sans-voix. C’est sur le travail et l’économie, le cœur même de la crise avec la prise du pouvoir, y compris politique, par la finance que les convergences sont les plus fortes. L’entreprise est devenue un bien marchand, les relations de travail ont changé ; chacun s’acharne, seul, à remplir les objectifs qu’on lui a assignés (« A bas l’excellence », s’exclame Luc Boltanski) ; on voit le précariat s’installer sous le salariat, les licenciements « financiers » se multiplier, avec des suicides sur le lieu de travail et un risque d’explosion sociale, voire d’implosion du système (Toni Negri, Robert Castel, Christophe Dejours). Susan George s’indigne d’un monde qui récompense les fraudeurs et les banquiers, et punit les victimes. Jean-Pierre Dubois observe que toutes les politiques conduites depuis trente ans aggravent les inégalités et propose d’agir par une politique fiscale et sociale en sens contraire. L’Europe peut fort bien s’effondrer si l’on ne construit pas un projet alternatif, selon Etienne Balibar, qui en appelle à la liberté de circuler, au cosmopolitisme et à une insurrection démocratique. Enfin, reconstruire la démocratie exige la participation effective des citoyens à la prise de décision (Bastien François) et la conquête de lieux pour en délibérer et pour faire rendre des comptes aux parlementaires, comme les clubs de la Révolution française (Sophie Wahnich).

Tout ceci n’est qu’un résumé très incomplet, chacun aura le sien, mais peu importe. Il est clair que la domination de l’homme blanc occidental sur les étrangers et sur les femmes, que la domination des banques sur les entreprises, les travailleurs et les gouvernements, que la destruction des services publics, et plus largement des droits et des libertés, ça suffit. Et que donc pour changer ce monde, il faut faire de la politique. « Ne jamais s’arrêter de monter », écrit Marie Ndiaye, dont un récit lu par la comédienne Marianne Denicourt scande ce film à la fois réaliste et utopique, politique et, oui, poétique.